Historique : Un équipage décoordonné, un bateau à la dérive ?

Nous prévenons le lecteur de l’inévitable subjectivité du propos, bâti sur une sélection et néanmoins inspiré par l’intention de l’objectiver au mieux.

Discipline récente, la psychologie a dû se frayer un chemin entre un univers de systèmes établis, une actualité politique mouvante et une société en mutation. Mais a-t-elle réussi à se faire une place au fil du temps, à s’organiser en interne autour d’une épine dorsale ?

D’une image flatteuse du sachant à l’absence de reconnaissance professionnelle en passant par des débats récurrents sur l’unité de la profession, pourtant chère à Lagache, la psychologie réussit l’exploit de l’apparence apaisée auprès du grand public mais d’une balkanisation désorganisante et délétère en interne.

Plusieurs tentatives de regroupements et de créations d’une instance juridique, un ordre notamment, émaillent l’histoire de la psychologie car l’intention de rassembler a toujours été un leitmotiv. Depuis l’après-guerre, l’idée d’un ordre fait débat, tant au niveau des organisations professionnelles qu’universitaires.

Explorons, à travers la dynamique historique des regroupements, l’évolution en contexte de la profession de psychologue et caressons le projet de bâtir un chemin collectif sur la base de cette remise en sens. Nous proposons d’amorcer notre démarche en partant de l’observation de l’état actuel avant de reconstituer une chronologie la plus juste possible (ou la moins inexacte possible !) qui y a mené.

1. La profession aujourd’hui : sa photo en 2021

Quel nouveau diplômé en psychologie ne s’est pas surpris de la complexité du paysage Psy ?

Un bien surprenant contraste avec la perception estudiantine de la psychologie structurée, scientifique, et structurante de l’individu et des systèmes ! Un peu comme un bateau dont l’équipage se désorganise : les rameurs rament en sens opposé, certains pêchent, d’autres se dorent au soleil alors qu’il pleut, quand d’autres grimpent au mat pour tenter de dominer la situation… Pourtant, malgré les dissonances, les désunions ou l’éclectisme de cet ensemble, des éléments organisateurs existent, tentant de maintenir ce système à l’équilibre, un équilibre plutôt instable mais surtout déstabilisable. En voici les caractéristiques en 2021.

– Un titre de Psychologue depuis 1985, faisant sortir les psychologues d’une zone de non-droit et qui défend le titre unique de psychologue. Ce texte présente cependant des limites, notamment sur l’exercice de la profession, bien trop diverse. Aucun statut général commun n’y est édicté avec des statuts particuliers.

– Un Code de Déontologie : première version en 1961, révisé en 1996, puis en 2012, enfin en 2021 (en cours) par un regroupement d’associations, le Groupe Interorganisationnel pour la Réglementation de la Déontologie des Psychologues (GIRéDéP) et le regroupement Construire Ensemble la Réglementation de la Déontologie des Psychologues (CERéDéPsy).

Le code de déontologie des psychologues encadre les pratiques de la profession. Mais, non opposable (non inscrit dans la loi), il ne peut sanctionner les professionnels qui le transgressent ni protéger efficacement le public. En revanche devenu opposable, le code impliquera la constitution d’une autorité juridique pour le mettre en œuvre. A ce jour, il n’y a ni code de déontologie légal, ni instance juridique. Pourtant, depuis près de 50 ans, une réflexion sur l’instance est menée par des organisations professionnelles, notamment le Syndicat National des Psychologues (SNP) et la Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie (FFPP), sans parvenir à un résultat. Ordre ou Haut Conseil (depuis 2012), le débat est toujours ouvert, laissant sur la place un flou juridique désorganisant toutes ces années, avec des règles déontologiques non encadrées (parfois même inconnues des psychologues), sous tendant des risques de dérives peu sanctionnées.

– Une fragmentation associative, source de richesse, mais qui fait obstacle à une représentation cohérente de la profession et qui n’en facilite pas l’intelligibilité, avec 21 organisations identifiées. Cette multiplicité complexifie la visibilité pour les psychologues, pour les pouvoirs publics et pour le grand public. Un interlocuteur unique, notamment devant les pouvoirs publics, optimiserait les chances de clarifier l’image de la discipline et de la profession.

Divers champs d’exercice : santé, éducation, travail, justice, fonction publique territoriale, conventions collectives, secteur libéral ; une variété qui questionne le type du ministère de rattachement de l’ordre des psychologues.

Divers domaines thérapeutiques cliniques en tension : notamment les approches psychanalytiques vs comportementales et cognitives.

Diverses formations universitaires : orientation recherche ou exercice professionnel, partition de la psychologie (clinique, santé, travail, sociale, cognitive, différentielle, développement, neuropsychologie…)

– Une « galaxie psy » : le vocable « psy », souvent utilisé par les non spécialistes, renvoie à une confusion des genres qui obscurcit l’image de la psychologie et des psychologues.et traduit une méconnaissance qui n’en facilite pas la visibilité (psychanalyste, psychiatre, psychologue, psychotérapeute, et les faisant office de psy).

– Une reconnaissance sociétale carencée : une rémunération des psychologues non adossée au niveau de diplôme et à son utilité sociale, un statut flou en institution (soignant ou paramédical) ou une classification ne rendant pas compte de la pluralité de la psychologie par l’INSEE. Pour exemple, l’inscription du psychologue pour pratiquer en libéral (répertoire SIRENE) mène au code APE (Activité Principale Exercée) 8690F « Activités de santé humaine non classées ailleurs » !

– Une actualité législative en accélération autour de la profession depuis 2020 (dans le cadre de la crise Covid) sans concertation avec les concernés ou les organisations de psychologues, laissant le champ libre aux pouvoirs publics faute d’interlocuteur unique, organisateur de la profession. Tel un système hors contrôle, se succèdent des textes législatifs et réglementaires allant dans le sens d’un assujettissement de la psychologie clinique à la médecine et de la paramédicalisation des psychologues cliniciens, des limitations de leurs pratiques et de l’utilisation de méthodes et de techniques à des tarifs remboursables mais dérisoires, de chèque-psy aux étudiants, ADELI transformé en RPPS (allant dans le sens de la paramédicalisation), enfin, la proposition de loi (PPL) du député J. Aubert (Parti Républicain) du 07/04/21 sur l’inspiration de trois psychologues.

 

Malgré une volonté indubitable des organisations professionnelles de plaider l’unité, aujourd’hui, des tensions internes ressurgissent et se multiplient au sein de la profession dans une déstructuration croissante, un chaos et une cacophonie ambiante, de plus en plus palpables à l’extérieur, rendant vulnérable la profession. Le moment actuel pour la profession est de fait historique et marque un virage qui lui impose de défendre sa place, voire de la gagner.

La scène juridique est un passage indispensable sur la trajectoire de la reconnaissance de la profession et plus largement de celle de la souffrance psychique (dans tous les domaines : santé, éducation, travail, justice…). Cette montée en tension entre psychologues et organisations, au gré d’un contexte politique et sanitaire devenu instable, produit un malaise certain au point de générer des actions isolées, à l’image de la PPL d’avril 2021. Une forme d’acte désespéré devant le ressenti de non-écoute, d’inaction et de laisser faire ? Symptôme d’un système sourd et muet qui dysfonctionne ?

Comment avons-nous pu en arriver là, nous psychologues, spécialistes de la souffrance et professionnels de la communication (au sens de l’interaction) ? L’histoire d’aujourd’hui est le fruit d’une évolution passée, et la fragilité du système interne de la psychologie apparaît révélée par l’instabilité du contexte actuel. Penchons-nous alors sur cette chronologie pour mieux saisir les processus en jeu.

2. Le film de l’histoire de la Profession depuis l’après-guerre

L’histoire de la psychologie révèle un dynamisme tout azimut avec ses multiples associations, mais aussi un bruit de fond contestataire et insatisfait permanent, tel un ensemble qui peine à s’organiser et à produire un cadre structurant, s’étirant dans le temps et mettant en péril la profession depuis plus de 50 ans.

Une instance centrale et régulatrice, interlocutrice des pouvoirs publics ne serait-elle pas le maillon manquant ? Déjà en mars 2001, il y a 20 ans, Claude Bastien, professeur émérite de psychologie cognitive, orateur des premiers Etats Généraux de la Psychologie, déclarait : «Nous devrions être de mieux en mieux armés pour défendre notre discipline et notre métier face aux agressions dont ils sont l’objet, à la condition toutefois que nous prenions conscience que nous sommes tous bel et bien embarqués dans le même bateau. Dans les tempêtes que nous devons affronter, nous ne saurions survivre avec une multiplicité d’équipages autonomes qui carguent les voiles chacun comme il l’entend. C’est sans doute la meilleure façon d’être englouti. […] Que nous le voulions ou non, nous sommes contraints à la solidarité» (Bastien, 2002, p8). Indéniablement, la mutation actuelle a besoin de notre accompagnement collectif.

Nous sommes contraints à la solidarité et celle-ci ne peut passer que par la création d’une structure agrégeant toutes les branches de la psychologie. La structure récurrente que l’Histoire met en avant est celle d’un ordre. Il est donc urgent de nous rassembler pour en concevoir les contours et en faire ce que nous souhaitons.

Dernière mise à jour de cette page : 12 / 04 / 2024