Secret professionnel des psychologues
Les psychologues français sont-ils soumis au secret professionnel ? La plupart des psychologues vous répondront que oui. Pourtant, aucun texte législatif ne l’indique. Il semblerait que la réponse ne soit pas si simple…
L’ACOPsy s’est donc penchée sur cette question, et vous propose les conclusions d’un travail de plusieurs mois.
Que savions-nous jusqu’à présent ?
Le respect de la vie privée
En France, le respect de la vie privée est encadré par l’article 9 du Code Civil, garantissant à chaque individu le droit d’être protégé contre les atteintes à sa vie privée, notamment en ce qui concerne la divulgation d’informations personnelles ou l’utilisation non autorisée de son image. Sa violation peut entraîner des actions civiles, pénales et disciplinaires.
Il s’agit donc d’un régime juridique de droit commun, qui s’applique à tous les citoyens en toutes circonstances. Il n’y a pas besoin d’être un professionnel pour que ce cadre s’applique à nous.
« La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Le secret professionnel
La protection de la vie privée peut impliquer la mise en place de mesures légales, réglementaires et techniques supplémentaires pour prévenir les violations de la vie privée et offrir des recours en cas d’atteintes à celle-ci. Le secret professionnel en est la meilleure illustration.
L’article 226-13 du Code Pénal établit trois formes de soumission au secret professionnel : par état (qualité), par profession (employeur), et par fonction (activité exercées). Les psychologues en France ne sont actuellement pas soumis au secret par état, mais peuvent l’être par leur profession ou par leurs fonctions. Ainsi, être psychologue ou exercer ne suffisent pas pour être automatiquement soumis au secret professionnel. Les psychologues fonctionnaires sont par exemple tenus au secret professionnel (par profession), alors qu’ils ne le sont pas en libéral. Les psychologues qui exercent dans une structure où ils traitent de dossiers communs avec des médecins bénéficient du secret professionnel partagé avec les médecins du service (par fonction).
Le texte de l’article sur le secret professionnel ne précise pas qui y est soumis : d’autres textes juridiques y rattachent des individus en faisant référence à cet article.
Que dit la jurisprudence ?
Les psychologues ont tellement l’habitude de penser qu’ils sont soumis au secret professionnel – il s’agirait après tout d’une évidence déontologique et éthique au vu de nos missions – que les politiques, qui connaissent mal notre profession, s’y perdent également.
Ainsi, en juin 2022, M. Jean-Pierre Sueur, alors sénateur, pose une question au Ministère de la santé sur l’application du secret professionnel aux psychologues. En effet, la loi de 1985, encadrant l’usage du titre de psychologue, ne mentionne pas explicitement ce rattachement. (Voir la Question écrite n°01818, Journal Officiel du Sénat, 28 juin 2022)
La réponse du Ministère de la Santé et de la Prévention clarifie que le secret professionnel s’applique aux psychologues, qu’ils soient fonctionnaires ou libéraux, conformément à l’article 226-13 et 226-14 du Code pénal. Cette obligation découlerait de leur profession ou de certaines missions spécifiques, même si elle n’est pas liée explicitement à leur titre. Le ministère fonde cette réponse non sur des textes de loi ou réglementaires, mais sur des décisions judiciaires de la Cour de cassation, c’est-à-dire de la jurisprudence.
« Le secret professionnel constitue une obligation et peut également constituer une infraction pénale, en cas de violation de cette obligation, ainsi que le dispose l’article 226-13 du code pénal. Le cadre légal posé par l’article 226-13 du code pénal prévoit qu’il est possible d’être soumis au secret professionnel soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire.
Conformément à l’article L. 121-6 du code général de la fonction publique, les psychologues appartenant à la fonction publique, en tant qu’agents publics, sont tenus au secret professionnel dans le respect des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
À l’instar des psychologues agents publics, les psychologues libéraux sont tenus au secret professionnel, au sens de l’article 226-13 du code pénal. Cette disposition s’applique par conséquent aux psychologues de manière générale, ainsi que l’estime la Cour de cassation (Crim., 5 janvier 2011, n° 10-84.136).
Bien que les psychologues libéraux ne soient pas soumis au secret professionnel par état, dès lors qu’aucun élément légal ne le prévoit, ils peuvent néanmoins l’être « par profession », ou en raison d’une « fonction ou mission temporaire ». Ce dernier cas intervient de manière ponctuelle et quand la loi le prévoit. Il s’agira en effet notamment d’activités dans le cadre d’une commission ou d’une instance.
En conséquence, en dehors des cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret et des cas énumérés à l’article 226-14 du code pénal, l’obligation de respecter le secret professionnel, au sens de l’article 226-13 du code pénal, s’applique aux psychologues, non en raison de leur titre, mais par profession, ou en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire. »
Différentes décisions de la Cour de cassation
On trouve ainsi plusieurs occurrences où la Cour de cassation a pu mentionner un psychologue et s’exprimer au sujet du secret professionnel :
Crim. (5 janvier 2011). n°10-84.136
« …le psychologue, professionnel intervenant dans le système de santé, est soumis au secret professionnel s’agissant de l’ensemble des informations concernant son patient… » (paragr. 11)
Crim. (28 octobre 2008). n°08-80.828
« … caractère secret de l’information qu’il divulguait et dont il était le dépositaire en raison de sa profession et de ses fonctions… » (paragr. 9)
Crim. (26 juin 2001). n°01-80.456
« …si un psychologue n’a pas la qualité de médecin, cette profession est elle aussi soumise au secret professionnel établi par l’article 226-13 du Code pénal ; que, cependant, cette obligation ne s’impose que dans les relations entre le professionnel et son patient… » (paragr. 10)
À première vue, il semble donc que la réponse apportée par le Ministère de la santé soit exacte, bien qu’aucun texte législatif ou réglementaire ne mentionne de secret professionnel étendu à l’ensemble des psychologues.
Et pourtant, ce n’est pas si simple…
Des avis contradictoires
Malgré ces clarifications du ministère, la question reste complexe, avec des avis divergents d’experts et de juristes. En effet, cette réponse se base sur des avis de la Cour de cassation qui n’ont pas fait l’objet d’une publication au bulletin. La Cour n’en a donc pas fait une décision de principe, visant à éclairer des cas similaires. À noter également que ces décisions ne précisaient pas les fonctions (libéral, FPH, …) du psychologue concerné.
Des exemples contradictoires sur le terrain
Sur le terrain, l’application du secret professionnel pour les psychologues est confrontée à des défis, notamment lors de demandes judiciaires de divulgation de dossiers de patients. La réponse du Ministère de la Justice concernant les violences conjugales en est un très bon exemple :
Nouvelle question au gouvernement, n°10040 (20 septembre 2022)
La question du député M. Éric Pouillat porte alors sur la nécessité d’élargir la dérogation au secret professionnel aux psychologues, dans le cadre du signalement des violences conjugales, conformément à la loi n°2020-936.
La réponse du Ministère de la justice indique que cette dérogation s’applique aux médecins et aux professionnels de santé, mais pas aux psychologues, bien qu’ils soient soumis au secret professionnel.
« […] Pour compléter l’arsenal législatif existant en matière de violences conjugales, la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 a prévu la possibilité pour les médecins et les professionnels de santé de déroger, à certaines conditions, au secret médical. Dès lors, malgré le principe posé à l’article 226-13 du code pénal, ils peuvent procéder au signalement des faits auprès du procureur de la République […]
Aux termes des dispositions du code de la santé publique (CSP), les psychologues ne sont pas reconnus comme étant des « professionnels de santé », catégorie regroupant les professions médicales (L4111-1 et suivants du CSP), les professions de la pharmacie (L4211-1 et suivants du CSP) et les professions d’auxiliaire médicaux (L4311-1 et suivants du CSP). Ils sont cependant tenus au secret professionnel dans le respect de l’article 226-13 du code pénal.
En effet, le cadre légal posé par l’article 226-13 du code pénal prévoit qu’il est possible d’être soumis au secret professionnel soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire. Conformément à l’article L. 121-6 du code général de la fonction publique, les psychologues appartenant à la fonction publique, en tant qu’agents publics, sont tenus au secret professionnel dans le respect des dispositions susvisées du code pénal.
A l’instar des psychologues agents publics, les psychologues libéraux sont tenus au secret professionnel, au sens de l’article 226-13 du code pénal. Cette disposition s’applique par conséquent aux psychologues de manière générale, la Cour de cassation considérant de façon constante que la nature même de leur activité faisant d’eux des « confidents nécessaires », ils doivent être soumis à cette obligation (Crim. 28 octobre 2008, no 08-80.828 ; Crim. 26 juin 2001, no 01-80.456).
S’ils se trouvent soumis à une obligation de respect du secret professionnel à raison de leur profession, les psychologues ne bénéficient pas de la faculté de levée du secret en matière de violences conjugales, dans les conditions fixées à l’article 226-14 3° du code pénal. En effet, la proposition de loi à l’origine de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 a visé uniquement les médecins et professionnels de santé et découle de travaux préparatoires ayant notamment impliqué le recueil de l’avis du Conseil de l’ordre national des médecins, sans échanges avec le corps professionnel des psychologues.
L’extension de la levée du secret professionnel aux psychologues en matière de violences conjugales, dans les conditions fixées à l’article 226-14 3° du code pénal, impliquerait des échanges avec l’ensemble des corps professionnels concernés, parmi lesquels les différentes organisations de psychologues (associations, syndicats, organisations nationales, etc.). »
Conclusion : un vrai flou juridique !
Aujourd’hui, selon les décisions de la Cour de cassation, les psychologues devraient bénéficier du secret professionnel, quelles que soient leurs activités ou leur lieu d’exercice. Mais ces décisions de la Cour de cassation n’ont pas fait l’objet d’une publication au bulletin et ne sont donc pas considérées comme des décisions de principe. De plus, sur le terrain, les choses sont plus complexes et il reste difficile de faire reconnaître ce droit.
Le secret professionnel pour les psychologues est donc aux prises avec des injonctions paradoxales. Les professionnels, y compris les juristes, rencontrent des difficultés à interpréter les textes pour déterminer la conduite à adopter dans certaines situations. Cette incertitude souligne l’importance d’un ordre professionnel, qui pourrait faire clarifier ces questions, et fournir des lignes directrices claires aux psychologues. Le Ministère de la justice souligne par ailleurs dans sa réponse l’utilité d’un ordre professionnel afin de déterminer un cadre d’application spécifique et adapté en concertation avec la profession, au-delà d’une application du seul principe.
Ainsi, ce n’est pas le Code de déontologie des psychologues qui permet de faire respecter le secret professionnel. Notre Code de déontologie n’a actuellement aucune opposabilité juridique, et n’est même pas envisagé parmi les arguments de réflexion. Le Code de déontologie utilise pourtant à plusieurs reprises l’expression « secret professionnel », accentuant en l’état une confusion chez les psychologues et une imprécision juridique de leur cadre d’exercice. Il est donc essentiel que le Code obtienne une valeur juridique plus solide, pour que son contenu déontologique puisse être réellement reconnu, et clarifier les droits et devoirs des psychologues.
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Dernière mise à jour de cette page : 12 / 04 / 2024